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De l’extérieur vers l’intérieur

Ce texte et les suivants proposent de nommer différentes étapes sur le chemin de la pratique du qi gong. Il ne s’agit pas d’une classification rigide dans laquelle il faudrait absolument se situer, mais plus d’un point d’appui pour discerner ce qui se passe pour soi et pouvoir engager, si l’on en ressent le besoin, de nouvelles pistes de travail, de nouvelles façons de pratiquer les mêmes mouvements et consignes. Comme j’ai pu le dire auparavant, dans la pratique du qi gong est rarement abordée la question de ce qui se passe pour soi durant la pratique et de comment nous pratiquons à l’intérieur. L’accent est mis sur que pratiquer (les mouvements, les consignes) et sur l’éducation du corps par son entraînement, dans le but de reproduire le plus fidèlement possible les mouvements et les consignes qui les accompagnent. Ce que j’appelle le comment nous pratiquons à l’extérieur.
Les étapes dont il est question sont les marches (ou les spires, terme plus représentatif du chemin que nous suivons, repassant souvent au même endroit mais d’une autre façon) qui peuvent mener de l’extérieur à l’intérieur, de l’éducation du corps à l’écoute de celui-ci, de l’amélioration de ses performances à une réelle transformation qui modifie en profondeur la conscience que nous avons de nous-même et du monde. Encore une fois, ces délimitations peuvent sembler arbitraires, et d’une certaine façon elles le sont. Car, même s’il y a une progression,  il y a interpénétration entre les étapes, qui se nourrissent les unes les autres. Les étapes plus avancées ne peuvent exister sans les autres, qui restent constamment vivantes et renouvelées.

D’abord le plein

Dans la tradition taoïste, on va cultiver le vide central ou plutôt la relation à ce vide central, là où se déploie la vie. Pourtant la pratique du qi gong et du tai chi commence par le plein.
Nous venons généralement à ces pratiques parce qu’elles nous font du bien. La réalisation de gestes lents et fluides, l’attention portée à notre gestuelle, aux sensations corporelles, à l’espace autour de soi et en soi, tout cela nous fait du bien. Quelque chose de nouveau se met en mouvement à l’intérieur : ça respire mieux, c’est plus fluide, plus joyeux aussi… simplement plus vivant. Notre présence est convoquée autrement : nous devons prêter attention aux mouvements, pour les réaliser avec précision dans l’espace et dans le temps, mais aussi prêter attention aux sensations qu’ils procurent et à la détente nécessaire pour amener de la fluidité, de la continuité… Nous sommes convoqués à l’intérieur de nous-même, sans enjeu autre que d’être là, avec ce qui se passe pour nous.
La présence est un baume, un soin profond que nous apportons à notre vie fragmentée et constamment portée hors de nous-même. Par cette présence dans les gestes, nous nous rassemblons, nous nous regroupons et nous réorganisons autour de notre centre, ou disons autour de la sensation d’un centre : même si celle-ci est incertaine et changeante, elle n’en est pas moins réelle pour nous. Et se rassembler ainsi est essentiel sur le chemin de la reconnaissance de soi : se reconnaître tels que nous sommes, même s’il nous est impossible de définir ce que nous sommes. Simplement nous reconnaître : je suis là, dans ce qui vit en moi, dans ma sensibilité, dans mes sensations, mes émotions, mes pensées. En ramenant de la présence et du soin par l’attention que je porte à mon corps dans les mouvements, je me perçois et me reconnais. Simplement cela.
Enfant, nous avons fondamentalement manqué de cette reconnaissance inconditionnelle de la part de ceux qui avaient en charge de nous élever, de nous accompagner. La reconnaissance n’est pas la connaissance, mais davantage un accueil : « Bienvenue, qui que tu sois ! Je n’ai pas besoin de te connaître, juste de t’accueillir tel que tu es. » Tout ce qui contribuera à cet accueil sera nourriture divine pour nous !
Cette première phase de la pratique est donc une phase du plein : pleins des nouveaux mouvements que nous apprenons, plein des sensations de l’énergie qui se met en mouvement, de la respiration nouvelle qui nous envahit, plein du plaisir de sentir plus d’espace en soi, plein de la vitalité qui nous traverse, de la détente physique et psychique si salvatrice, plein de la sensation de puissance ou de bien-être… Nous nous remplissons de cette nourriture généreuse et en jouissons. La jouissance n’est-elle pas excellente nourriture pour le corps et le cœur ?
Les mouvements, créés au fil des siècles sur la base d’une connaissance profonde du corps entre Ciel et Terre, stimulent naturellement l’intelligence de la vie et de l’énergie en nous, et par notre pratique nous en faisons l’expérience concrète. Notre tâche est de porter attention aux mouvements et aux indications qui les accompagnent. En retour nous sommes comme pris dans les bras du mouvement : nous pouvons nous y abandonner à la façon d’un enfant s’abandonnant dans les bras de sa mère, dans une confiance insouciante. Qu’attendre de plus ?!

Bienheureuse insouciance

Cette phase de la pratique est en effet une phase de relative insouciance. Cette assertion peut surprendre, car d’une part nous avons mobilisé notre attention de façon inhabituelle pour réaliser les mouvements, d’autre part cela nous a ouvert un champ de perceptions complètement nouveau. Et nous faisons l’expérience de cela dans la perception différente que nous avons de nous-même et de ce qui nous entoure. C’est un peu comme si nous rajoutions une nouvelle dimension à l’espace, en nous et autour de nous. L’espace a changé de qualité, et ce changement a été initié parce que nous avons prêté attention à notre corps et aux mouvements.
Mais ce que nous ignorons (et bien souvent ignorons ignorer) c’est comment notre corps se débrouille à l’intérieur pour réaliser les mouvements et les consignes associées. Notre attention est focalisée sur le mouvement et la détente globale mais pas sur comment le corps fait à l’intérieur pour réaliser ce que nous lui demandons. De plus, bien souvent nous ignorons que nous ne manifestons pas la consigne proposée (par exemple la position de la tête ou des pieds), ou bien que nous le faisons pour un instant mais que cela disparaît très vite. Notre attention est mobilisée par la réalisation du mouvement et cela produit des effets positifs (le plein dont je parlais précédemment). Notre conscience est portée sur ces sensations nouvelles. Ainsi, non seulement nous ne sommes pas vraiment conscient de comment notre corps fonctionne mais nous n’en ressentons pas vraiment le besoin : le mouvement produit des effets positifs et nouveaux, cela se suffit à lui-même.
En tant qu’enseignant, j’ai souvent été étonné de témoignages d’élèves sur ce qu’ils vivaient à l’intérieur alors que leurs mouvements et l’activité de leur corps me semblaient bien loin de ce que je proposais.
Cette insouciance me semble nécessaire, à l’instar de celle de l’enfant qui découvre le monde et se nourrit des expériences qu’il fait sans avoir besoin de développer une conscience de qui (ou de ce qui) en lui fait ces expériences. C’est ainsi que nous nous nourrissons et nous abandonnons dans les bras de ce qui nous nourrit.

Mais autre chose demande en nous

Sur le chemin de connaissance de soi et de rencontre avec soi (qui suis-je ?), de réunion avec soi, qui appelle profondément en nous, cette insouciance ne sera pas suffisante. Nécessaire, utile, mais pas suffisante. Quelque chose d’autre poussera en nous. J’ai moi-même fait de nombreuses fois l’expérience de répéter sur une longue période, avec assiduité et attention, une série de mouvements ou de postures, sans que cela ne produise les résultats que j’espérais, ne serait-ce qu’en termes énergétiques. J’ai aussi à l’esprit des témoignages d’élèves pratiquant avec dévouement et ne comprenant pas pourquoi « ça ne bougeait pas pour eux ». Malgré leur sincérité, leur demande intérieure n’était pas satisfaite par leur pratique, ni même réellement rencontrée.
Donc notre pratique produit des effets positifs dont nous faisons l’expérience et dont nous nous remplissons, mais ne nous informe pas réellement sur celui qui pratique (son histoire, ses demandes, etc.). Et notre tendance naturelle (généralement inconsciente, ou pour le moins non questionnée) est d’en donner le mérite au qi gong, à l’enseignement, au maître… en tous cas à quelque chose d’extérieur à nous. Un objet extérieur à nous-même que nous pouvons contempler, admirer et imaginons éventuellement conquérir et posséder par la pratique. Les expériences que nous faisons par la pratique du qi gong sont telles, dans leur force et leur nouveauté, que nous voulons les reproduire. Et nous attribuons le pouvoir de ces expériences au qi gong et au maître.
Cela me semble naturel et nous mènera jusqu’à un certain point. Mais nous risquons de rester bloqué à ce point et surtout tirer la conclusion que ce blocage est essentiellement lié à des défauts de notre pratique plutôt qu’à une ignorance de comment nous pratiquons, à une impossibilité de rencontrer qui pratique. Tant que nous remettons notre pouvoir de transformation à l’objet qi gong, il nous est impossible d’envisager de rencontrer le sujet, celui qui pratique. C’est pourtant de cela dont nous avons fondamentalement besoin.

Les principes internes et le corps d’habitudes

Mais le chemin ne s’arrête pas là : l’approfondissement de la pratique nous amène à découvrir et mettre en œuvre les principes internes, ce qui conduira à prendre conscience de notre corps d’habitudes. C’est l’objet des articles suivants.