La séance de qi gong commence parfois dans un certain flou. Que faire ? Vers où aller ?… Oh bien sûr, je peux répéter n’importe quelle forme qui se présente à mon esprit, celle que je pratiquais la veille par exemple. Mais mon corps et mon esprit demandent autre chose. Quelque chose de l’ordre d’un accueil au sein duquel mon corps peut se détendre, manifester ses besoins, se poser sur la terre, ou plutôt se donner à elle. Si je n’y prends pas garde, c’est la mécanique du « faire » qui saisit mon corps pour le mouvoir : faire le mouvement, faire l’étirement, et même… faire la détente. Mécanique tellement habituelle. Elle s’est emparée du corps, il ne s’appartient plus. Il est mû par cette mécanique du contrôle, de ce qui « sait faire », de ce faire familier, qui rassure. Une mécanique tellement familière et habituelle que nous en avons souvent oublié son existence, et par là la possibilité d’autre chose.
Et je suis comme en suspend, refusant de laisser cette mécanique me saisir et ne sachant pas quel autre chemin prendre, dans quel autre mode engager mon mouvement. Il me faut pourtant initier une action. Car c’est dans l’action que quelque chose va se créer, s’incarner, devenir réel. Mettre en route le mouvement ou la posture et « voir » comment le corps répond et appelle mon attention. Besoin de connexion entre deux zones, de relâchement, de délicat repositionnement… Pour répondre aux exigences du mouvement et des principes internes, le vivant se met en route et tente de ré-agencer le corps à son propre profit à lui, le vivant. C’est son seul intérêt, son obsession même.
Mais il a besoin de mon attention vigilante pour que la mécanique du contrôle ne prenne immédiatement
possession du corps. En fait, cette mécanique a déjà pris possession du corps depuis longtemps. C’est la donnée de base avec laquelle je pratique. Et j’ai besoin de toute mon attention pour reconnaître ce qui se joue dans mon corps lorsque je tente de mettre en œuvre le mouvement et les principes internes. Le corps est en conflit : la mécanique de l’habitude ne peut laisser s’épanouir le vivant, le Souffle, qui est appelé par l’action. Et j’ai besoin de solliciter et d’affiner mon attention pour percevoir ce qui se joue : empêchements, blocages, impossibilités. J’ai aussi besoin d’envisager que ce ne sont pas les signes de mon échec ou de mon incompétence, mais un appel vers d’autres possibilités. Mon attention devient le témoin de cela.
Alors mon corps-esprit peut envisager de s’abandonner à un autre chemin. La mécanique du contrôle se déprend, au moins pour un instant et dans un endroit particulier du corps. L’expérience est faite de l’abandon, du lâcher. L’expérience est faite du bonheur de ne plus tenir par soi-même pour être debout, d’être pris en charge par plus vaste que soi, qui pourtant est encore soi, de se sentir profondément inclus dans le plus vaste, à la fois connu et inconnu.
« L’exercice c’est de se mettre au service de quelque chose de plus profond qui fait alors le travail pour vous. L’exercice chaque jour renouvelé nettoie le moi qui se croit obligé de toujours faire. Il peut alors arriver que votre main s’ouvre comme une fleur, sans que vous l’ayez voulu ; et la flèche part sans que vous ayez voulu qu’elle parte. Nettoyer peu à peu le moi du vouloir, du faire et de la croyance que sans vouloir et sans faire rien n’advient. » K.G. Dürckheim.