« Il n’y a pas d’âme sans corps et pas de corps sans rapport à l’espace et à l’environnement […] C’est du corps qu’il faut s’occuper, pas du corps vu par la médecine scientifique, mais du corps qui parle, qui se meut et qui s’émeut. »
F. Roustang, Savoir attendre, p. 12.
Dans la pratique du qi gong, souvent, nous nous occupons du corps du point de vue de la technique et nous ignorons sans nous en rendre compte le corps qui parle, qui s’émeut et qui se meut. Le corps qui par ses expressions et ses impossibilités d’expressions reflète et relate son histoire, notre histoire, la façon dont nous avons parlé et été ou non écouté, la façon dont nous nous sommes ému et avons été ou non écouté.
Les mouvements de qi gong sont l’expression d’une profonde connaissance du corps et de ses potentialités, une connaissance véritable acquise empiriquement au cours des siècles. Mais le pratiquant, fasciné à juste titre par cette connaissance, ne doit pas oublier qu’il pratique avec ce corps qui parle, qui se meut et qui s’émeut. Avec ce corps qui a une histoire, des blessures, des conquêtes, des expériences qui l’ont conduit à se faire une certaine idée de lui-même et du monde qui l’entoure.
Le mouvement de qi gong n’est pas une mise au pas du corps visant à lui faire atteindre une certaine perfection,
entrevue ou imaginée en observant la gestuelle du maître, ou bien projetée à partir d’expériences fugaces mais bien concrètes que l’on a vécues durant la pratique. Non, le mouvement de qi gong est le contexte pour « voir » la dynamique de ce corps modelé par son histoire et permettre de replacer cette dynamique dans un espace beaucoup plus vaste, offrant de toutes autres possibilités.
Une « mise au pas » est en quelque sorte la négation de ce corps et de son histoire : « tu n’es pas suffisamment bon comme tu es et je vais te rendre meilleur ». A-t-on conscience de cela lorsqu’on pratique ?
La mise au pas est le réflexe naturel spontané de notre mental. Elle est coupée de l’écoute du corps : elle examine ce qui ne va pas et tente de trouver une solution pour que « ça aille ». Ceci n’est pas de l’écoute : l’écoute est libre de toute velléité de trouver des solutions. L’écoute accueille ce qui est et est de ce fait le témoin actif d’un contexte beaucoup plus vaste que celui dans lequel est enfermé le corps. Et cette place de témoin est la porte ouverte vers d’autres possibilités que le corps pourra explorer, à son propre rythme, selon sa propre dynamique.
A cet endroit, la volonté n’est pas de mise : ce serait une volonté de changement, de mise au pas, de contrôle, qui ne ferait que maintenir le corps dans sa dynamique habituelle.